SOURIRES DE LA FRANCOPHONIE
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PETITES BOURGEOISES et JEUNE MARIÉE

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Message par Qso Mer 18 Fév - 20:05

PETITES BOURGEOISES et JEUNE MARIÉE
(D'après Tableau de Paris, par Louis-Sébastien Mercier, paru en 1782)

Faire l'amour à une fille, en style bourgeois, c'est la rechercher en mariage. Un garçon se présente le dimanche après vêpres, et joue une partie de mouche. Il perd et ne murmure pas ; il demande la permission de revenir, elle lui est accordée devant la fille qui fait la petite bouche. Le dimanche suivant, il arrange une partie de promenade, pour peu qu'il fasse beau. Déclaré épouseur, il a la liberté d'entretenir sa future à cinquante pas géométriques devant les parents. A l'issue d'un petit bois, se fait l'importante déclaration, qui ne surprend point la belle.
Le prétendu est toujours bien frisé et d'une humeur charmante ; aussi la fille parvient-elle à l'aimer un peu. Puis elle sait que le mariage est pour elle la seule porte de liberté. Toute la maison ne parle devant l'épouseur que de la vertu intacte, qui règne de temps immémorial dans la famille. Mais il survient un petit inconvénient. Les parents du garçon ont trouvé un parti plus avantageux : on rompt ses habitudes. La fille est piquée, mais elle se console. C'est pour la troisième fois que cela lui arrive ; et forte des leçons de sa mère, elle s'arme d'une noble fierté contre les infidèles. Quelques autres se présentent ; mais l'histoire du contrat fait toujours obstacle.
Cependant la fille court sur son vingt et unième ; il n'y a plus à balancer, il faut que le père se décide, car il sait que marchandise gardée perd de son prix, sans compter les accidents. La fille devient boudeuse ; le premier qui vient faire des propositions est accepté. En trois semaines on bâcle l'affaire. La fille aura le plaisir de dire qu'elle a été recherchée au moins par cinq partis ; mais elle n'ajoutera pas qu'elle a été remerciée par quatre. Les parents qui raisonnent, trouvent qu'elle est encore assez jeune pour amener à la maison une foule de marmots qu'il faudra tenir sur les fonts de baptême. La mère, jalouse de sa fille depuis qu'elle est grande, voulant la marier pour se défaire d'elle, et ne pas la marier pour prolonger son autorité, endoctrine son gendre, lui peint sa fille comme une étourdie, n'ayant aucune de ses qualités personnelles, et demandant à être surveillée par les yeux attentifs d'une mère. Elle s'offre à diriger les affaires du ménage.
Le gendre ne sait pas que Juvenal a dit en latin : « si vous voulez avoir la paix dans la maison, ne souffrez pas que votre belle-mère y donne des conseils ». Il est tout étonné de voir la discorde au bout de trois mois se déclarer entre la mère et la fille. Le mari prend le parti de sa femme, renvoie sa belle-mère, et conte son chagrin à tout le quartier. La belle-mère a parlé de son côté ; les avis sont partagés. On se raccommode au second enfant ; les larmes coulent de part et d'autre ; les voisins sont édifiés, et la boutique prospère.
C'est en vieillissant que la mère oublie un pouvoir qu'elle voulait pousser trop loin. Elle fait ligue alors avec sa fille contre son gendre qu'elle ménage et qu'elle n'aime point. Ses petits-enfants sont charmants, spirituels ; mais ils ne tiendront, dit-elle fréquemment, que du grand-père et de la grand-mère. Au reste il faut beaucoup de courage et de vertu dans une petite bourgeoise, pour qu'elle n'envie pas secrètement l'opulence et l'éclat de telle courtisane, qu'elle voit parée et dans l'abondance. Elle serait bien fâchée d'être une fille entretenue ; mais elle soupire quelquefois en songeant à la liberté qu'elles ont de prendre et de choisir des amants. Il n'y a point de vertu sans combat. La petite bourgeoise qui combat et triomphe mérite l'estime publique. Aussi en sont-elles réellement plus jalouses dans ce rang que dans tout autre.
Jeune mariée.
Cléon rencontre Damis, l'embrasse, l'étouffe et lui dit : je suis le plus heureux des hommes ; j'épouse une jeune fille qui sort du couvent, et qui n'a vu, pour ainsi dire, que moi. Elle porte sur son front l'empreinte de la douceur et de la bonté. Rien de plus ingénu, de plus naïf et de plus modeste ; ses yeux craignent de rencontrer les regards que sa beauté fixe sur elle. Quand elle parle, une aimable rougeur colore son visage ; et cette timidité est un nouveau charme, parce que je suis sûr qu'elle naît de la pudeur, et non de la médiocrité d'esprit. Les malheurs qui affligent l'humanité la trouvent sensible, et elle ne saurait en entendre le récit sans se trouver presque mal. Qu'il est doux de lui voir répandre des larmes sur les infortunes d'autrui !
Il n'y a point d'âme plus sensible, plus douce, plus aimante ; elle ne vivra, elle ne respirera que pour moi ; elle chérira ses devoirs, et je serai le plus fortuné des maris. Cléon épouse. Au bout de six mois Cléon rencontre le même Damis, et ne lui dit rien de sa femme : Damis apprend que cet ange marié, qui n'a plus besoin de se contraindre, a remplacé la modestie par la fierté, la timidité par la hardiesse, et que si elle rougit encore quelquefois, c'est d'orgueil ou de dépit : il apprend qu'elle a déjà son appartement séparé ; qu'elle est en société avec la marquise, la baronne, la présidente ; qu'elle a pris leurs maximes hautaines et dédaigneuses ; qu'elle persifle son mari, et qu'à la moindre contradiction elle s'emporte et le peint comme un jaloux, un brutal, un avare.
Elle ne se leve qu'à deux ou trois heures après midi, et se couche à six heures du matin ; elle sort à cinq heures. On la cite comme enjouée et aimable dans la liberté du souper. On ne sait pas au juste quel est son amant, et c'est ce qui désespère surtout son mari. Il est réduit à souhaiter qu'elle en ait un, parce qu'il pourrait du moins par son moyen lui faire entendre raison sur des choses qui intéressent leur fortune, ce point capital, et qui aujourd'hui subjugue tout le reste. Elle adresse la parole à son époux dans les assemblées générales et lui sourit ; mais elle est des semaines entières à la maison sans lui parler et sans le voir. Toutes les femmes s'empressent à dire qu'elle vit décemment , et que son mari doit s'estimer heureux d'avoir une femme aussi sage.
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